Il n’y a pas de majorité en matière de vérité

plus de 2 an(s)

Description

OPINION
J’avais promis , suite à mon retrait des journées de concertation , de revenir sur un certain nombre de choses , notamment sur certaines reformes, les concertations , le sens et les limites mêmes de la démarche du ministre .
Nous y voilà !
Je le fais après lecture  et du rapport final  de 123 pages de la Commission Nationale des Etats généraux de l’Education et de la synthèse finale des Ateliers régionaux .
D’abord arrêtons-nous un instant  sur la réforme de 1999, réforme la plus vicieuse ,la plus inique, la  plus anti-nationale de toutes, s’il en fut ! Elle naît dans le contexte du système à filières ; filière arabe , obligatoire pour tous les enfants arabo-berbères, et filière  bilingue où,pour l’essentiel, se retrouvent orientés les écoliers négro-africains. Système à filières concomitante à l’experience de l’ILN ,arrivée presque à terme ( 5eme année, devant être généralisée à la 6eme ,en raison même de  son plein succès- taux de réussite situé entre 70 et 80 % -),et qui remplacerait donc ce système à filières…A un an de l’échéance  ,voilà qu’on arrête tout ,brutalement , et qu’on  change d’orientation, contre tout bon sens…Et sans explication aucune !
Pour quelles raisons ou quelle motivation arrête-t-on une expérience satisfaisante à tous points de vue ,se demanderont les hommes de bon sens ?
L’explication réside à la fois et dans l’échec patent de la filière arabe qui était dans l’impasse, et dans l’idéologie chauvine : enseignement du hassanya et non de l’arabe litteraire , incompétence des Professeurs des sciences à dispenser correctement les cours dans cette langue, et qui finiront  par être relevés et reversés dans la diplomatie, étudiants envoyés à l’exterieur incapables de suivre les cours! Idéologie chauvine -raison principale -qui choisit , à la faveur du traumatisme subie par les négro-africains suite à une répression féroce, de liquider tout legs colonial et d’imprimer le choix d’une mauritanie  arabe, exclusivement ,qui passe par l’assimilation du  groupe dit minoritaire, conformément à la loi de proximité en sociologie. C’est pourquoi, au lieu de se limiter à corriger les défaillances de la filière arabe par le rétablissement de l’enseignement des matières scientifiques en français-chose  normale et légitime-, comme ils le firent ,ils décidèrent aussi et surtout de pénaliser, par la même occasion ,les enfants pulaar ,sooninko et wolofs  en dispensant l’enseignement de toutes les matières litteraires en arabe ( Philos, histoire, géographie, langue , morale, instruction civique et religieuse),affectées de coefficients qui défient l’entendement. Pire , ils décidèrent de supprimer l’ILN et son experience à succès, à un an de l’échéance fixée pour sa généralisation et l’officialisation des langues pulaar , sooninke et wolof ! 
Voilà pourquoi , depuis 1999  c’est l’échec massif en milieu negro africain ,dans les examens et  concours, conduisant aux abandons massifs de l’école. Cela fait 22ans que ça dure,  les dégâts sont incommensurables… Ceci, l’exposé de la 1ere journée des Concertations nationales , portant sur le diagnostic du système , le passe sous silence…Il fait table rase du succès de l’expérience menée par l’ILN …Le problème d’équité est posé, certes, mais il l’est sous l’angle d’équité du genre et de classes , au sens de  P Bourdieu  . L’exposé tout comme le rapport final de synthèse tait l’iniquité ou l’inégalité structurelle du système devant l’accès au Savoir entre enfants à la base, beaucoup plus grave ( 2 langues étrangères au sens pédagogique du terme , imposées aux uns au départ du processus d’apprentissage .)
 Que retenir à la fois et de ces journées de concertation et du rapport final ?
Dans le libellé des rapports quelque chose frappe tout de suite après lecture : la formulation des conclusions partielles avec l’usage répétitif de  termes comme  ‘’  la plupart’’  recommandent que, ’’la majorité’’ retient que…Et vu l’absence ,flagrante, d’une juste représentativité des communautés nationales dans le choix des participants, on devine aisément où se situe la ‘’majorité’’ …Mais l’on sait ‘’qu’il n’y a pas de majorité en matière de vérité’’ ;  tout comme il n’y a pas de majorité en matière d’identité. Rien n’est plus faux que de croire (ou faire croire)que l’avis majoritaire est forcément le plus juste, le plus bon. C’est un raisonnement spécieux et pernicieux .Il n’y pas de majorité en matière de vérité, encore une fois . Du reste ,dans ce genre de conclave c’est le consensus qui doit être requis ou de mise et rien d’autre.
 A noter , par ailleurs , le flou  sur lequel  ‘’surf’’ les rapports   concernant le statut des langues négro-africaines; tantôt on parle de  ‘’langues d’enseignement’’ , tantôt de langues de communication’’ tout court , ou de langues ‘’devant faciliter les apprentissages’’, c’est-à-dire de facilitation pour  l’acquisition  d’autres langues. Tantôt c’est l’arabe qui est la langue principale d’enseignement , tantôt ce sont toutes les langues qui le sont !!!
‘’Sur la langue d’enseignement, la majorité des participants a insisté sur les langues maternelles comme moyen le plus efficace pour véhiculer les sciences modernes. A cet effet la langue arabe, en tant que langue nationale , devrait être la langue d’enseignement des SMT( les sciences ),sans négliger le rôle  que pourraient jouer les autres langues nationales dans la promotion de ces matières.’’(fin de citation -page 109).Ca dit ce que ça dit , ambigÜité à dessein !
 L’opinion et le bon sens exigent , clairement et sans ambages, que les langues nationales pulaar, soninke et wolof soient des langues officielles et dans lesquelles on enseigne, pour donner les mêmes débouchés que la langue arabe .Toute équivoque doit être levée à ce sujet .Pourquoi le Maroc et l’Algérie , depuis 2002, reconnaissent-ils  leur diversité culturelle et officialisent-ils la langue  berbère  tamazight, et la  Mauritanie se cabre ou hésite à le faire pour nos langues  ? Au nom de quelle logique ?
…Quelque part dans les rapports , on parle de commencer les langues maternelles dans le pré-scolaire , à la maternelle. C’est une supercherie ! Les  classes maternelles existent à peine à Nouakchott où elles sont rarissime , à fortiori à l’intérieur du pays ! Non, il faut reprendre l’experience de l’Institut  là où on l’avait laissée ...
Cette réforme , menée tambour battant , tombe comme un cheveu dans la soupe , au regard du dialogue en  perspective; à moins que …A moins d’indiquer, en sourdine, un rétropédalage dans la volonté politique ‘’d’en haut’’ d’organiser les fameuses  ‘’concertations-dialogue’’. Bref , à certains  égards et  au vu du timing, l’idée de mener cette réforme  paraît suspecte !
Toujours dans le rapport final, une sorte de dilemme transparaît  dans les termes de choix ; démocratisation de l’enseignement et qualité, ouverture à  la modernité et ‘’enracinement dans notre authenticité’’, c’est-à-dire dans nos valeurs traditionnelles islamiques qui , on le sait ,sont adossées au droit musulman lui-même assis sur la charia islamique …du 6e siècle !
Les auteurs du rapport ne semblent pas prendre conscience du caractère antinomique de ces deux orientations : la charia-source de notre Droit-et l’orientation moderne .La seconde s’oppose à la philosophie socle même de la pensée libre et libérée. Le questionnement philosophique , dit-on , ne présuppose rien sans examen de la raison , alors que le conservatisme réligieux, dogmatique, bride la pensée …Dichotomie ! Ne pas penser est plus dangereux que penser pensée critique, nous dit Anna Arendt . 

Alors que nous avons toutes les difficultés du monde  à concilier ces termes de choix , les voilà qui parlent d’intégrer le préscolaire, l’enseignement originel , et envisagent la prise en charge des  personnes handicapées,( chose que même les Etats-Unis n’arrivent pas à résoudre). Il faut savoir ce qu’on veut et ce qu’on peut …Qui trop embrasse mal étreint dit le proverbe ! 
Que penser de la tentative du ministre à mener, en solo, cette réforme ?
J’avoue, pour ma part, être admiratif de la foi ou de l’enthousiasme débordant de ce ministre qui croît  possible de mener et réussir , en solo, la réforme du secteur éducatif. Il ne voit pas ou refuse de voir que c’est le ‘’ tout entier’’ qui s’est écroulé…Il ne perçoit pas qu’ ’’il n’y a plus d’Etat depuis la réorganisation judiciaire sous Haidalla des années 80’’,( dixit : Isselmou ould Abdel kader). Chose que confirme amplement  Abdallah Sidya Ebnou - grand commis de l’Etat- dans son ouvrage intitulé ‘’quarante  ans au service de l’Etat mauritanien’’ -  véritable réquisitoire contre les régimes militaires, cause première de cette déliquescence de l’Etat. Ould Ebnou y relate quelques anecdotes , comme la réponse que lui fit, sans gêne ,  l’agent chargé du bureau des Archives nationales : les documents que vous demandez  n’existent pas ! Puis cet administrateur qui jette les archives dans la cour pour faire de la place ; à noter que d’autres les brûlent… Le Ministre ne semble pas prendre conscience de l’ampleur des dégâts mais surtout du désordre, pour ne pas dire de l’anarchie générale qui règne partout dans ce pays ; de la circulation routière et urbaine au plus haut sommet de l’administration ; et ce, pourtant,  jusques dans son propre secteur -l’Education elle-même- ! En effet , combien d’Enseignants flottent sans rien faire ,alors que les besoins sont là ?  combien sont détachés pendant que  des écoles  en manquent et qu’on parle d’en recruter 6000 ? Combien sont dans leurs boutiques et continuent à émarger ? et ceux-là, censés être dans les classes , combien sont assidus ? Combien de faux diplômes à la fonction publique qu’on n’ose pas nettoyer, pour ne pas  fâcher X ou Y ou tel électorat ? Je pourrai répéter  ce tableau, à loisir, dans le secteur de la santé, de l’administration générale, de la Justice , des sociétés d’Etat, de l’Armée, partout ...Dans ses propres bureaux du ministère où  je me suis aventuré , par accident , lors de notre rendez-vous privé ,je suis tombé sur deux dames qui dormaient , à points fermés, sur le plancher ! Et ceci , on ne le rencontre pas qu’au ministère de l’Education seulement ... La corruption gangrènne tout , jusqu’aux  bureaux des Examens et Concours …Il n’y a plus de suivi rigoureux du personnel, et la multiplication des Inspecteurs jusques dans les départements est une fausse solution. 
 Bref, le mal est général et profond ,au point qu’il est utopique de songer à redresser un secteur isolé.  Pour réussir le redressement il eût fallu que , dans un vaste mouvement d’ensemble  impulsé d’en haut,  tout se redressât en même temps .Ce n’est pas hélas le cas pour l’instant . Dans le secteur de l’Education ,comme dans celui de  l’administration générale, nous avons besoin, pour nous relever , de l’aide de la coopération internationale et d’un retour de la vieille génération  au moins pour une tutelle deux ans ! les dégâts sont énormes  et le mauvais pli pris, profond…
Maintenant que dire des solutions , des bonnes solutions ?
Elles doivent, à mon sens, toutes- si toutefois le vivre-ensemble demeure le cap-, reposer  sur le constat que nous sommes un assemblage de peuples , agrégés par la seule volonté du colon . Nous ne sommes pas encore une nation , que l’on cherche à forger par l’assimilation forcée. Nous appartenons à deux espaces géographiques, deux aires culturelles differentes , deux entités politiques historiques distinctes , deux récits nationaux , deux peuples ,en un mot , aux traditions et habitudes  mentales differentes . 
Toutes solutions imaginées , pour être viables et durables,  doivent découler de cette réalité têtue de notre Diversité et Identité plurielle.
Par dessus tout , une question essentielle -presque existentielle- qui précède toutes les autres , demeure : voulons -nous  réellement  changer ? That’s is the question !

Novembre 21 -2021
Samba Thiam

Articles associés

Des journalistes mauritaniens ont dénoncé un communiqué récent de l'ambassade d'Algérie à Nouakchott, dans laquelle la représentation diplomatique accuse les médias d’être à la «solde d’un Etat ennemi» et critique des «mercenaires de la plume (qui) n
La commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale a consacré sa réunion, qui s'est tenue jeudi à Nouakchott, sous la direction du député Mokhtar Ould Khelifa, président de la commission, à la présentation et à l'étude du projet de loi n°
Au lendemain des propos racistes tenus jeudi à l'Assemblée nationale par le député du Rassemblement national, le bureau de l'Assemblée nationale se réunit en début d'après-midi pour prononcer une éventuelle sanction. Je pense que la question de sa dé
À quoi servent les mathématiques ? Je tiens à remercier tous les intervenants, nombreux, sur ma communication d’hier. J’avais essayé de réagir sur chaque commentaire mais ils étaient tellement nombreux que je n’avais pas pu le faire pour tous. Cepend
La régularisation administrative des travailleurs de la SONELEC devenue aujourd’hui la SOMELEC, victimes des évènements de 1989, est toujours dans l’impasse depuis le retour des réfugiés en 2008 malgré la décision gouvernementale de régularisation de
Face à un réseau obsolète de distribution d’eau qui perdure depuis des décennies, le ministre de l’Hydraulique n’en revient pas après tous les investissements consacrés à son secteur. Un étonnement qui laisse penser à une nouvelle politique rationnel
Ousmane Anne, c’est déjà une figure bien connue sur la scène politique nationale. Il y a quelques années, son nom était intimement lié au mouvement abolitionniste pour la résurgence abolitionniste (IRA). En juillet 2016, avec d’autres camarades, Ousm
Mme Coumba Dada Kane, députée et vice-présidente d’IRA Mauritanie dénonce, dans une déclaration au Calame, « le silence coupable du président de l’Assemblée nationale et des quatre groupes parlementaires qui n’ont pas daigné donner une suite à la req
Cela quelques mois – déjà trop… – que la valse des étiquettes fait crouler le père de la famille et la ménagère sous un poids de plus en plus insupportable. Il ne se passe pas un jour, en effet, sans que les prix des produits de première nécessité ne
En Mauritanie, Messaoud Ould Boulkheir, une des voix les plus influentes au pays durant la dernière décennie, a alerté d’un projet ourdit par l’Algérie et le Polisario visant à encourager la scission du nord du pays. «J’ai fait part au président Ould

En direct

Suivez en direct l'actualité