Poliomyélite : des attaques meurtrières en Afghanistan pourraient faire échouer l'éradication de la maladie
Le monde est à deux doigts d'éliminer la polio, mais des attaques meurtrières en Afghanistan ont interrompu la vaccination dans une région critique du pays.
La violence récurrente contre les agents de santé de première ligne pourrait-elle retarder l'objectif d'éradication définitive de cette maladie invalidante ?
Les attaques qui ont fait six morts parmi les agents de santé chargés de la polio dans la province de Nangarhar mardi sont les pires depuis le début de la vaccination contre la polio en Afghanistan en 1995. Elles surviennent six jours après que deux policiers ont été tués en protégeant des agents de la polio dans la province de Khyber Pakhtunkhwa au Pakistan.
Le Dr Najibullah Kamawal, qui dirige le centre des opérations d'urgence de la région Est à Jalalabad, affirme que la vaccination doit reprendre afin d'éliminer la polio dans les deux derniers pays où elle subsiste.
"Si nous ne parvenons pas à éradiquer le virus de la polio en Afghanistan, il se propagera dans la région, puis dans le monde entier", a-t-il averti.
Mais c'est une tâche qui reste difficile et dangereuse.
"Un objectif ambitieux"
La polio touche principalement les enfants de moins de cinq ans et est incurable. Une infection sur 200 entraîne une paralysie irréversible et parmi ceux-ci, entre 5 et 10 % meurent lorsque leurs muscles respiratoires sont immobilisés.
Lorsque le programme mondial de vaccination - soutenu par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), l'Unicef, le Centre américain de contrôle des maladies, le Rotary et la fondation Bill et Melinda Gates - a été lancé en 1988, la polio sévissait dans 125 pays et infectait 350 000 enfants. L'année dernière, elle a remporté une victoire majeure lorsque l'Afrique a été déclarée exempte de polio.
Ce succès a été rendu possible grâce aux travailleurs de première ligne, dont 95 % étaient des femmes, qui ont réussi à naviguer en bateau dans des zones de conflit comme le lac Tchad et à livrer des vaccins à des communautés éloignées.
Selon les Nations unies, seuls deux cas ont été signalés cette année dans le monde - un en Afghanistan et un au Pakistan.
"Quoi qu'il arrive en Afghanistan, cela affecterait notre ambition mondiale", déclare Godwin Mindra, chef adjoint du programme polio à l'Unicef Afghanistan.
"Nous avons un objectif ambitieux d'éradication totale. Nous pensons que c'est faisable. "
Une histoire mouvementée
Il y a eu - et il y a toujours - de nombreux obstacles à la livraison des vaccins contre la polio en Afghanistan et au Pakistan.
Les talibans, qui sont actifs dans les zones frontalières de Nangarhar, ont interdit les campagnes de vaccination contre la polio au Pakistan en 2012 et dans certaines parties de l'Afghanistan en 2014. La présence de groupes armés tels que le soi-disant État islamique (EI) a rendu l'administration du vaccin contre la polio dangereuse.
Les militants armés se méfient des campagnes de vaccination en raison d'un faux programme de vaccination utilisé par la Central Intelligence Agency du gouvernement américain pour tenter de retrouver Oussama Ben Laden en 2011. Certains groupes conservateurs, quant à eux, ont émis des décrets religieux contre le vaccin et ont rejeté la vaccination comme une conspiration occidentale visant à stériliser les musulmans.
Des négociations délicates avec les chefs religieux, les anciens des communautés et les groupes armés ont permis d'atteindre les zones montagneuses reculées du Pakistan et de l'Afghanistan. Mais des problèmes d'accès subsistent, comme à Kandahar, où les militants ont interdit le porte-à-porte, qui est souvent le meilleur moyen d'atteindre les femmes et leurs enfants.
La campagne a également subi un coup dur en mars, lorsque trois travailleuses de la polio ont été tuées dans la province de Nangarhar, ce qui a entraîné le départ de l'ensemble des bénévoles féminins, soit quelque 1 000 femmes.
Il a fallu des années de travail acharné pour dissiper les rumeurs et la désinformation, mais le Dr Kamawal a remarqué un changement d'attitude et affirme que ses équipes rencontrent moins de résistance.
"Certains commandants talibans sont des résidents locaux. La plupart de nos volontaires sont également issus des zones locales. Cela permet des communications et des négociations au niveau local. Ils nous autorisent généralement à entrer avec certaines restrictions".
"Nous ne rencontrons aucune opposition de la part des épouses des membres des talibans. Certaines d'entre elles viennent même dans nos centres de santé pour se faire vacciner. Nous vaccinons les enfants des talibans et ceux des autres groupes armés.
"Ici [dans le sud de l'Afghanistan], ils sont pour la plupart désarmés. Nous restons à l'écart des zones où il y a des troubles."
"Éradiquer la polio l'anné prochaine"
Les talibans ont fermement nié toute implication dans les attaques les plus récentes.
Le Dr Hamid Jafari, directeur de l'éradication de la polio pour la région Est-Méditerranée de l'OMS, soupçonne que certaines morts violentes de travailleurs de première ligne pourraient être dues à la situation sécuritaire instable des deux côtés de la frontière, où des groupes armés et des militants sont actifs.
Le Dr Kamawal souhaite obtenir des garanties de sécurité de la part des talibans et d'autres groupes armés pour relancer le programme, même s'il admet que le gouvernement ne pourra pas assurer la protection des 10 000 volontaires qui se rendent dans les villages et les communautés rurales des quatre provinces qu'il supervise.
°Source : Bbc Afrique